Le décor est perpétuellement changeant ici. Hier randonnée dans la baie aux morses, qui ont déserté au profit des hommes. La neige jusqu'au genou parfois et de la pierre noire et du quartz le reste du temps. La glace flottante et clairsemée à perte de vue.
Un homme esseulé a essayé de se joindre à nos danses paillardes samedi soir, il a toqué à la porte armé d'une bouteille de bière. Dans les années 50 et 60, le gouvernement danois obligeait les jeunes groenlandais rentrant dans l'adolescence à passer un an (?) au Danemark. Ils en revenaient démunis face à leur propre famille, incapables de se rappeler de leur langue maternelle.
Aujourd'hui, les jeunes sont à la plage arctique, le fusil de chasse planté dans la neige. Ricochets qui comptent au septuple. Gospel improvisé depuis la salle de musique de l'école élémentaire qui déborde de la vue sur la baie rose de soleil. Le sourire des enfants ici a quelque chose qui transperce l'âme. On touche aux vraies choses. La montagne bossue et les yeux brillants de Stella. La glace est tachée de sang parfois et on croise des os de narval le long de la piste en terre battue.
Le village entier est désormais privé de café, le magasin agonise de jour en jour. Le bateau ne vient que d'ici une semaine et il ne portera ses fruits que dans dix jours au mieux, le temps de décharger les reliques d'une autre dimension. On meurt surtout de soif ici et ne rêve que de l'eau de la rivière qui naît du glacier. Il paraît que c'est parce que l'air est sec.
Les enfants escaladent les containers comme on grimpe aux arbres, avec une aisance insouciante. On n'est jamais vraiment seul quand le jour est là toute la nuit.